Chapitre 17

 

Kahlan leva les yeux dès que Richard remua.

Il regarda autour de lui jusqu’à ce qu’il voie le visage de sa compagne.

— Où sommes-nous ?

— Chez Nissel, répondit l’Inquisitrice. Elle s’est occupée de ta brûlure.

De la main droite, Richard toucha le bandage qui recouvrait un cataplasme.

— Combien de temps… Quelle heure est-il ?

Kahlan se leva, frotta ses yeux lourds de sommeil et jeta un coup d’œil par la porte entrouverte.

— L’aube s’est levée il y a environ deux heures. Nissel dort dans l’autre pièce. Elle a passé la nuit à ton chevet… Les Anciens montent la garde devant la maison. Ils n’ont pas bougé depuis que nous t’avons amené ici.

— Quand m’avez-vous porté chez Nissel ?

— Vers minuit…

— Qu’est-il arrivé ? Je me souviens que Darken Rahl est apparu, puis qu’il m’a touché – marqué, je crois… Où est-il allé ? Et que s’est-il passé ensuite ?

— Rahl est parti. Je n’en sais pas plus…

Richard prit le bras de Kahlan et le serra douloureusement.

— Comment ça, parti ? Tu veux dire qu’il est retourné dans le royaume des morts ?

— Richard, tu me fais mal !

— Désolé, dit-il en la lâchant. Je ne voulais pas… Décidément, je suis un sacré crétin !

— Ça ne faisait pas atrocement mal, le consola Kahlan en lui posant un baiser dans le cou.

— Je ne parlais pas de ça… Comment ai-je pu être aussi idiot ? Le ramener du royaume des morts ! Quel imbécile je suis ! Bon sang, j’avais reçu un avertissement ! J’aurais dû y réfléchir et comprendre. Mais je me suis focalisé sur un point, sans voir ce qu’il y avait autour. Un comportement de fou !

— Ne dis pas ça…, murmura Kahlan. Tu n’es pas fou. (Elle s’écarta de Richard, se redressa et baissa les yeux sur lui.) Ne dis jamais ça de toi !

Le Sourcier s’assit en face d’elle et grimaça quand il toucha de nouveau son bandage. Puis il tendit une main pour lui caresser la joue, et lui sourit de la façon très spéciale qui la faisait fondre.

— T’ai-je déjà dit que tu es la plus belle femme du monde ?

— Un petit million de fois…

— Tant mieux, parce que c’est la vérité ! J’aime tes yeux verts et tes cheveux… Je n’en ai jamais vu de plus superbes. Kahlan, je t’aime plus que tout au monde…

— Moi aussi, souffla la jeune femme en retenant ses larmes. Richard, jure de ne jamais douter de mon amour, quoi qu’il arrive.

— Juré ! Contre vents et marées ! Tu me crois ? Mais pourquoi cette demande ?

Kahlan s’étendit près de lui, posa la tête sur son épaule et l’enlaça en prenant garde de ne pas toucher sa blessure.

— Darken Rahl m’a terrorisée, c’est tout… Quand il t’a touché, j’ai cru que tu étais mort.

— Que s’est-il passé après ? Je me souviens qu’il a dit m’avoir marqué au nom du Gardien, puis c’est le trou noir…

Kahlan réfléchit très vite et prit sa décision.

— La marque devait t’expédier chez le Gardien… Rahl a ajouté qu’il était là pour finir de déchirer le voile. Heureusement, j’ai pu invoquer la Rage du Sang…

— L’as-tu tué, détruit, ou que sais-je ce qu’on peut faire à un esprit ?

— Non… Il a dévié mon attaque. En partie… Mais je crois qu’il a eu peur quand même. Alors, il a fui. Pas vers la lumière verte, mais en direction de la porte. Il est sorti avant de t’avoir tué, en somme…

Richard sourit et la serra plus fort contre lui.

— Mon héroïne m’a sauvé ! (Il se tut un moment.) Rahl est là pour finir de déchirer le voile… (Il plissa le front.) Et ensuite ?

Kahlan avait résolu de mentir par omission. Ne pouvant soutenir le regard du Sourcier, elle ferma les yeux et chercha un moyen de changer de sujet.

— Les Anciens et moi t’avons porté jusqu’ici, pour que Nissel puisse s’occuper de toi. D’après elle, c’est assez grave, mais le cataplasme agira. Tu devras le garder quelques jours, le temps que ça cicatrise. (Elle brandit un index accusateur.) Je te connais, tu voudras faire le malin et le retirer plus tôt que prévu ! Mais il n’en sera pas question ! Tu m’obéiras au doigt et à l’œil, Richard Cypher !

— Richard Rahl, rectifia le jeune homme, son sourire s’effaçant.

— Désolée… Cypher ou Rahl, tu es toujours mon Richard. Et si tu veux changer de nom, tu pourras devenir Richard Amnell après notre mariage. Les époux des Inquisitrices adoptent parfois le patronyme de leurs femmes…

— Richard Amnell, répéta le jeune homme en souriant, j’aime ça. Le mari de la Mère Inquisitrice… L’homme qui l’aime et la vénère… (Soudain, son regard se voilà.) Parfois, j’ai peur d’ignorer qui je suis. Ou quoi… Et je me dis que…

— Tu es une part de moi, et moi une part de toi. C’est tout ce qui compte.

Il hocha distraitement la tête, des larmes perlant à ses paupières.

— En convoquant ce conseil, je voulais trouver un moyen d’arrêter tout ça… Mais comme l’a dit Darken Rahl, j’ai aggravé les choses – Il avait raison : je suis stupide. Tout ce qui arrivera sera ma faute…

— Arrête ça ! Tu es blessé et épuisé. Une fois remis, tu découvriras la solution. Comme toujours…

Richard se força à chasser sa mélancolie. Écartant la couverture, il s’examina.

— Qui a nettoyé la boue avant de m’habiller ?

— Les Anciens t’ont lavé… Nissel et moi voulions nous charger du reste, mais tu n’as pas besoin de rougir, parce que tu es trop lourd pour nous. Les Anciens l’ont fait aussi, et ça leur a pris du temps. À sept !

Richard hocha la tête, mais il ne l’écoutait plus. Il porta une main à son cou, où pendaient d’habitude l’Agiel, le sifflet et le croc d’Écarlate, et ne les trouva pas.

— Nous devons partir au plus vite et retrouver Zedd. J’ai besoin de son aide. Où est le croc d’Écarlate ?

— Toutes nos affaires sont restées dans la maison des esprits.

Richard se massa les joues pendant qu’il réfléchissait, puis se passa une main dans les cheveux.

— Bien… Je vais aller chercher le croc pour appeler notre amie. Ensuite, je ferai nos bagages. (Il serra gentiment le bras de sa compagne.) Toi, tu iras chez Weselan mettre ta robe. En attendant Écarlate, nous aurons le temps de nous marier. Mais nous partirons dès l’arrivée de la femelle dragon. Les deux jeunes époux seront en Aydindril avec Zedd avant la tombée de la nuit. Alors, tout ira bien. Je découvrirai ce que j’ai fait de travers, et j’y remédierai. C’est juré.

— Nous y remédierons, rectifia Kahlan. Ensemble, comme toujours !

— Ensemble, oui, répéta Richard. J’ai besoin de toi. Tu illumines mon chemin.

Kahlan s’écarta et riva sur son compagnon un regard sévère.

— Eh bien, la lumière de ta vie a des instructions te concernant, et tu t’y plieras. D’abord, tu ne bougeras pas d’ici avant que Nissel t’y autorise. Elle a prévu de changer ton cataplasme et de te donner un médicament dès ton réveil. Pas question de filer avant, compris ? Je détesterais que tu tombes malade et que tu meures après tout le mal que je me suis donné pour te sauver la vie. Les esprits savent que ce ne fut pas un jeu d’enfant !

» J’irai chez Weselan pour le dernier essayage de la robe. Quand Nissel se sera occupée de toi – et pas avant ! – tu fileras chercher ton croc et appeler Écarlate. Une fois les bagages prêts, viens me chercher, et je consentirai à t’épouser. (Elle lui embrassa le bout du nez.) Si tu jures de m’aimer toujours.

— Promis !

Kahlan se releva à demi en prenant appui sur les épaules musclées du Sourcier.

— Je vais réveiller Nissel et lui dire de faire vite. Dès qu’elle aura fini, cours appeler Écarlate sans perdre une seconde. Je veux partir avant qu’il prenne à Verna l’idée de revenir. Pas question de courir le risque, même si elle n’est pas censée se montrer avant quelques jours. Plus loin nous serons des Sœurs de la Lumière, mieux je me sentirai. Et il faut que Zedd s’attaque le plus tôt possible à tes migraines.

— Et ton grand lit, en Aydindril ? demanda Richard avec un sourire de gamin. Tu n’es pas pressée de le retrouver ?

— Sache que j’y ai toujours dormi seule. J’espère que je ne te décevrai pas.

Richard serra la taille de sa compagne, l’attirant si fort vers lui qu’elle poussa un petit cri. Écartant ses cheveux de son cou, il l’embrassa à l’endroit exact où Darken Rahl avait posé ses lèvres.

— Me décevoir ? Ma chérie, c’est bien la seule chose au monde que tu sois incapable de faire ! (Il l’embrassa de nouveau.) Maintenant, file réveiller Nissel. Nous perdons du temps…

 

Kahlan tira désespérément sur le tissu – sans obtenir de résultat notable.

 Je n’ai jamais rien porté de si décolleté… Tu ne crois pas que c’est un peu trop… révélateur ?

Weselan leva les yeux de l’ourlet de la robe qu’elle s’efforçait d’égaliser. Retirant l’aiguille en os serrée entre ses dents, elle se leva et recula pour admirer son œuvre… et les appas de son amie, superbement mis en valeur.

 Tu as peur qu’il n’aime pas ça ?

— Eh bien, fit l’Inquisitrice, rouge comme une pivoine, j’espère qu’il appréciera. Mais…

Weselan se pencha un peu en avant.

 Si tu n’as pas envie qu’il en voie autant, tu devrais peut-être réviser ta position au sujet du mariage…

Kahlan leva un sourcil.

 Il ne sera pas le seul à se rincer l’œil… Je n’ai jamais mis une robe pareille et j’ai peur… hum… de ne pas lui rendre justice.

— Cette robe te va comme un gant, dit la Femme d’Adobe en tapotant le bras de l’Inquisitrice. C’est parfait !

— Tu es sûre ? insista Kahlan, en s’inspectant de nouveau. Je ne suis pas ridicule ?

 Avec les seins que tu as ? Tout le monde en dit grand bien, tu sais ?

Kahlan s’empourpra mais ne douta pas un instant de la véracité de ses dires. Chez le Peuple d’Adobe, vanter en public la poitrine d’une femme n’était pas plus choquant que de la complimenter, dans d’autres cultures, pour son sourire. Une attitude sans inhibition qui l’avait plus d’une fois prise au dépourvu.

Elle tira néanmoins de nouveau sur le tissu.

 C’est la plus belle robe que j’aie jamais mise, Weselan. Merci d’avoir si bien travaillé. Je la garderai précieusement…

 Et si tu as une fille elle la portera peut-être pour son propre mariage.

Vénérables esprits, pensa l’Inquisitrice, si nous avons un enfant, faites que ce soit une fille…

Elle leva une main et toucha le collier qui ne la quittait jamais. Un petit os rond entouré de quelques perles rouges et jaunes… C’était un cadeau d’Adie, la dame des ossements, conçu pour la protéger des monstres qui rôdaient à la frontière qui séparait jadis les Contrées du Milieu de Terre d’Ouest. La vieille femme avait ajouté qu’il veillerait aussi un jour sur l’enfant de l’Inquisitrice.

Kahlan chérissait le bijou, car c’était une réplique parfaite de celui que sa mère – qui le tenait également d’Adie – lui avait offert jadis. Depuis qu’elle l’avait passé au cou de Dennee, sa sœur adoptive, avant de l’enterrer, ce souvenir lui manquait.

Son remplaçant était très spécial. La veille de leur traversée du Passage du Roi, Richard avait juré, sur le bijou, de défendre l’enfant qu’elle aurait un jour. Et à l’époque, ni lui ni elle n’auraient pu imaginer que ce serait leur enfant…

 Je serai très fière que ma fille porte cette robe pour ses noces, dit Kahlan, s’arrachant à ses souvenirs. Weselan, voudras-tu être mon témoin ?

 Ton témoin ?

 Chez moi, la coutume veut qu’une amie se tienne près de la jeune mariée pour représenter les esprits du bien qui président la cérémonie. Il en va de même pour l’époux, et je parie qu’il choisira Savidlin. Moi, j’aimerais que tu sois à mes côtés…

 Voilà une étrange coutume… Les esprits du bien n’ont pas besoin de représentant, et ils ne cessent jamais de veiller sur nous. Mais si tu le désires, je serais honorée d’être ton… témoin…

Weselan se pencha pour s’attaquer de nouveau à l’ourlet. Kahlan s’efforça de garder le dos bien droit. Elle avait des courbatures, après avoir passé la nuit assise près de Richard, et elle aurait donné cher pour s’asseoir ou s’allonger. Elle tombait de sommeil, et avait atrocement mal aux reins.

Soudain, elle se demanda ce que Denna devait endurer en cet instant…

Elle chassa aussitôt cette idée. Quoi qu’elle subisse, ce ne serait jamais assez pour la punir d’avoir torturé Richard. En y pensant, l’Inquisitrice avait toujours autant envie de vomir…

La peau de son cou, là où Rahl l’avait embrassée, continuait à brûler. Au souvenir de ce baiser, elle frissonna de la tête aux pieds.

Le cri qu’avait poussé Denna avant de disparaître lui revint en mémoire. Tant pis pour elle ! Elle l’avait bien cherché… Et si elle ne s’était pas livrée au Gardien, Richard aurait été emporté à sa place.

— Ne crains rien, Kahlan, dit soudain Weselan.

— Pardon ? (La femme d’Adobe s’était relevée et la regardait en souriant.) Excuse-moi, mais j’avais l’esprit ailleurs… Que disais-tu ?

La Femme d’Adobe tendit une main et essuya une larme sur la joue de son amie.

 Tu ne dois pas t’inquiéter… Richard est un homme formidable et tu seras heureuse avec lui. Il est naturel d’avoir peur au moment de se marier, mais tout ira bien, tu verras. Moi aussi, j’ai pleuré avant d’épouser Savidlin. Pourtant, c’était mon plus cher désir. Mais j’ai versé des larmes, à ma grande surprise. (Elle fit un clin d’œil à son amie.) Il ne m’a jamais donné de raison de sangloter… Parfois, je me plains un peu, mais ça ne va jamais jusqu’aux pleurs.

Kahlan s’essuya l’autre joue. Bon sang, que lui arrivait-il ? Elle se fichait du sort de Denna. Complètement !

Elle se força à sourire à Weselan.

 C’est mon plus grand espoir : ne plus jamais pleurer de ma vie !

La Femme d’Adobe la serra dans ses bras.

 Tu as faim ?

 Non…

Couvert de sueur et haletant, Savidlin entra en trombe dans la maison. Kahlan eut un frisson glacé en voyant son air sinistre. Ses mains commencèrent à trembler avant même qu’il prenne la parole.

 Nissel a soigné Richard, puis je suis allé avec lui dans la maison des esprits, pour qu’il puisse appeler la femelle dragon. La sœur de la Lumière l’y attendait. Je n’ai pas compris ce que Richard disait, mais j’ai reconnu ton nom. Il voulait que je vienne te chercher. Dépêchons-nous !

— Non ! cria Kahlan avant de se précipiter vers la porte.

En courant, elle souleva à deux mains l’ourlet de sa robe pour ne pas marcher dessus. Atteignant une vitesse jusque-là inédite, elle réussit à distancer Savidlin.

Une seule idée occupait ses pensées : rejoindre Richard !

Pourquoi Verna était-elle revenue si vite ? Encore quelques heures et ils n’auraient plus été ici. Quelle injustice !

Richard…

De gros flocons de neige tourbillonnaient dans l’air. Pas assez denses pour couvrir le sol d’un tapis blanc, mais c’étaient néanmoins les premiers véritables hérauts de l’hiver. En touchant sa peau, la neige fondait instantanément. Des filaments de glace s’accrochaient parfois à ses cils, l’obligeant à battre des paupières. Gênée, Kahlan s’engagea dans une allée puis s’immobilisa, hésitante. Ce n’était pas le bon chemin ! Revenant sur ses pas, elle prit le passage adéquat. Sur ses joues, des larmes se mêlaient à la neige fondue. Ce nouveau coup du sort était plus qu’elle n’en pouvait supporter. Pourquoi le destin s’acharnait-il ainsi sur un homme ?

Quand elle arriva devant la maison des esprits, elle vit que les chevaux des Sœurs de la Lumière étaient attachés devant.

Sans prêter attention à la foule qui se pressait autour du bâtiment, Kahlan courut vers la porte. Il lui fallut une éternité pour l’atteindre, comme si elle se déplaçait dans un cauchemar où ses jambes refusaient de la porter. Enfin, le cœur battant la chamade, elle tendit une main vers le verrou.

— Esprits du bien, par pitié, faites que je n’arrive pas trop tard !

Elle entra et s’arrêta, le souffle court. Richard et Verna se faisaient face sous le trou percé dans le toit par le pouvoir du Kun Dar. Entourés d’un ballet de flocons scintillant sous la lumière grise du soleil, ils se défiaient du regard. Le Sourcier portait son épée au côté, mais il n’avait rien autour du cou. Pas d’Agiel, de sifflet ou de croc. Donc, il n’avait pas pu appeler Écarlate.

Sœur Verna brandissait le Rada’Han. Elle jeta un regard agressif à Kahlan, puis plongea de nouveau les yeux dans ceux de Richard.

— Tu viens d’entendre la troisième raison d’accepter le collier. C’est ta dernière chance de salut, Richard. Quelle est ta réponse ?

Le jeune homme tourna la tête vers Kahlan et l’étudia des pieds à la tête, son regard glissant lentement sur ses courbes délicieuses.

— Kahlan… cette robe… est magnifique… Vraiment magnifique…

L’Inquisitrice ne parvint pas à parler.

Verna cria son prénom sur un ton menaçant.

Kahlan remarqua qu’elle tenait un autre objet dans sa main gauche. La dague à garde d’argent ! Mais elle la pointait sur le cœur de Richard, pas sur le sien. S’il refusait, elle l’exécuterait. Pourtant, le Sourcier ne semblait pas conscient de la menace. Verna avait-elle lancé un sort pour qu’il ne voie pas l’arme ?

Il répondit enfin.

— Vous avez fait de votre mieux, sœur Verna. Et ça ne suffira pas. Je ne…

— Richard ! cria Kahlan en avançant d’un pas. Accepte la proposition ! Je t’en supplie, mets le collier autour de ton cou !

Verna ne broncha pas, observant calmement la scène.

— Kahlan… Que… ? Je t’ai dit et redit que…

— Richard ! tonna la Mère Inquisitrice.

Surpris par cet éclat, le jeune homme se tut.

Verna n’avait toujours pas bougé, sa dague au poing. Quand elle croisa son regard, Kahlan comprit qu’elle attendrait de voir comment allaient tourner les choses. Mais l’issue, si Richard s’entêtait, ne faisait aucun doute.

— Écoute-moi bien, dit Kahlan. Je veux que tu mettes ce collier.

— Quoi ?

— Accepte le Rada’Han !

— Jamais !

— Et tu prétends m’aimer ?

— Bien sûr que je t’aime ! Quelle folie est-ce là…

— Si tu m’aimes, coupa l’Inquisitrice, accepte la proposition. Pour me prouver ton amour, prends le Rada’Han !

— Pour te prouver mon amour ? Kahlan, c’est impo…

— Fais-le !

Elle se montrait trop gentille et en avait conscience. Richard était surpris, mais pas effrayé. Pour le sauver, elle devait être plus forte et se comporter comme Denna l’aurait fait à sa place.

Esprits du bien, pensa-t-elle, donnez-moi la force de le torturer.

— Kahlan, j’ignore ce que tu as, mais nous en parlerons plus tard. Tu sais à quel point je t’aime, mais je refuse de…

L’Inquisitrice leva un poing rageur.

— Si tu m’aimes, obéis-moi, au lieu de débiter de la guimauve en faisant le contraire de ce que je te dis ! Tu me dégoûtes !

— Kahlan…, souffla Richard d’une voix brisée.

— Tu es indigne de mon amour ! Comment oses-tu prétendre que tu m’aimes et refuser de me le prouver ?

Les yeux du jeune homme se remplirent de larmes.

Au souvenir de ce que Denna lui avait infligé, la folie se réveilla dans ses yeux.

— Kahlan…, gémit-il en tombant à genoux. Par pitié !

— Ne t’avise jamais plus de me contredire ! cria l’Inquisitrice en se penchant vers lui, un poing tendu.

Croyant qu’elle allait le frapper, il leva les bras pour se protéger. Par tous les esprits, il la pensait capable de le battre ! Il fallait qu’elle en tire parti.

— Je t’ai ordonné de prendre le collier ! Comment oses-tu tergiverser ? Si tu m’aimes, accepte la proposition !

— Kahlan, par pitié ! Ne me demande pas ça ! Tu ne comprends pas…

— Je comprends très bien ! Tu affirmes m’aimer, et c’est un mensonge ! Si tu refuses le collier, toutes tes déclarations auront été des mensonges ! De sales mensonges !

Le jeune homme ne put relever les yeux vers la femme qui le tyrannisait, vêtue de sa splendide robe de mariée. Le regard rivé sur le sol, il réussit quand même à parler.

— Je ne t’ai jamais menti… Kahlan, je t’aime, tu dois me croire. Tu comptes plus pour moi que quiconque. Je ferais n’importe quoi pour toi, mais s’il te plaît…

Les entrailles nouées par le chagrin, Kahlan le prit par les cheveux et le força à relever la tête. La folie troublait son regard. Elle l’avait perdu… Provisoirement, espéra-t-elle.

Esprits du bien, faites qu’il ne sombre pas à jamais dans les ténèbres !

— Des mots ! Voilà tout ce que tu me donnes. Pas d’amour. Pas de preuve ! Simplement des bavardages sans valeur !

Sans lui lâcher les cheveux, elle leva l’autre main pour le gifler. Il ferma les yeux, prêt à encaisser, mais elle ne réussit pas à le frapper. Il était déjà bien beau qu’elle reste debout ainsi, plutôt que de se jeter à genoux pour le serrer contre elle et lui dire combien elle l’aimait.

Et que tout allait bien ! Mais c’était faux… S’il s’entêtait, il mourrait. Et elle seule pouvait le sauver. Même s’il finissait par la tuer pour se venger.

— Ne me bats plus…, gémit-il. Denna, par pitié !

Kahlan ravala la boule qui s’était formée dans sa gorge et réussit à parler.

— Regarde-moi ! (Il obéit.) Je ne te le répéterai pas cent fois, Richard. Si tu m’aimes, tu dois accepter la proposition et mettre le collier. Sinon, je te ferai regretter de m’avoir désobéi. Ce sera pire que tout ce que tu as connu ! Obéis tout de suite, ou ce sera fini entre nous. (Elle grinça sinistrement des dents.) C’est le dernier avertissement, mon petit chien ! Mets le collier, immédiatement !

Denna lui ayant révélé qu’elle l’appelait ainsi, Kahlan savait pertinemment ce que les mots « petit chien » signifiaient pour Richard. Jusqu’à cet instant, elle avait espéré ne pas avoir à les utiliser. Comme elle s’y attendait, tout ce qui restait de santé mentale au jeune homme l’abandonna. Dans ses yeux, elle vit ce qu’elle redoutait le plus au monde. Il se sentait trahi !

Elle lui lâcha les cheveux tandis qu’il se tournait vers la Sœur de la Lumière, qui lui tendit le collier.

Le visage décomposé, Richard contempla le symbole de son calvaire passé. Impassible, Verna attendit la suite.

— Très bien…, gémit-il, j’accepte la proposition… (Ses mains tremblantes saisirent le collier.) Je porterai le Rada’Han.

— Dans ce cas, dit Verna, mets-le à ton cou et ferme-le.

— Je ferais n’importe quoi pour toi…, souffla Richard en se tournant vers Kahlan.

L’Inquisitrice regretta qu’un éclair magique ne la foudroie pas sur-le- champ. Elle aurait tant voulu mourir !

Les mains de Richard cessèrent soudain de trembler. Il mit le collier autour de son cou. L’artefact se ferma avec un bruit sec, et la jointure disparut, laissant un anneau de métal lisse comme la surface d’un lac.

La lumière baissa comme si le crépuscule approchait. Pourtant, la journée commençait à peine. Des roulements de tonnerre retentirent, différents de tous ceux que Kahlan avait entendus dans sa vie. Sentant le sol vibrer sous ses pieds, elle en conclut que cela avait un rapport avec la magie du Rada’Han et des Sœurs de la Lumière.

Quand ses yeux se posèrent sur Verna, qui regardait autour d’elle, inquiète, elle comprit qu’elle se trompait.

Richard se releva et se campa devant la sœur.

— Vous risquez de découvrir, sœur Verna, que tenir la laisse de ce collier est pire que de le porter. Bien pire !

— Nous voulons simplement t’aider, Richard…

— Mais vous devrez le prouver, car je ne prends jamais rien pour acquis.

Soudain, une idée angoissante traversa l’esprit de Kahlan,

— La troisième raison ? s’écria-t-elle. Quelle est la troisième raison de porter le collier ?

Richard se tourna vers elle, la foudroyant d’un regard que même son père n’aurait pas pu imiter.

— La première était de dominer les migraines et m’enseigner à contrôler mon don. La deuxième, de me contrôler. (Il tendit une main et saisit l’Inquisitrice à la gorge.) La troisième est de m’infliger de la douleur.

— Non ! Par tous les esprits du bien, non !

— J’espère que tu crois en mon amour, à présent, dit Richard en la lâchant. Tu ne doutes plus, maintenant que je t’ai tout donné ? Prions pour que ça suffise, car il ne me reste plus rien à t’offrir. Rien !

— Je te crois, souffla Kahlan. Et je t’aime plus que tout au monde, Richard.

Elle voulut lui caresser la joue, mais il écarta sa main. De toute évidence, il était persuadé qu’elle l’avait trahi.

— Vraiment ? lâcha-t-il. J’aimerais te croire, mais…

— Tu m’as promis de ne jamais douter de mon amour, lui rappela Kahlan.

— C’est vrai… Tout le monde peut se tromper.

Si elle avait pu invoquer la Rage du Sang contre elle-même, la jeune femme n’aurait pas hésité.

— Je sais que tu ne peux pas le comprendre en ce moment, mais j’ai fait ce qu’il fallait pour te sauver. Sinon, les migraines t’auraient tué. Un jour, tu y verras clair. Moi, je t’attendrai jusqu’à mon dernier souffle, parce que je t’aime de tout mon cœur.

— Si c’est vrai, va voir Zedd et raconte-lui ce que tu as fait.

— Richard, dit soudain Verna, prends tes affaires et va m’attendre près des chevaux.

Le jeune homme alla ramasser son arc, son manteau et son sac, dont il sortit ses trois pendentifs : le sifflet de l’Homme Oiseau, l’Agiel de Denna et le croc d’Écarlate. Le regardant les passer à son cou, Kahlan regretta de ne rien avoir à lui donner en souvenir. Ne pouvait-elle pas improviser ?

Alors qu’il la dépassait, elle le retint par un bras.

— Attends…

Elle tira le couteau passé à sa ceinture, saisit une mèche de sa crinière noire et la coupa. Dans sa ferveur, elle ne pensa pas à ce qui arrivait quand une Inquisitrice s’attaquait ainsi à ses cheveux. Criant de douleur, elle s’écroula sur le sol, tous les nerfs torturés par la magie. Elle aspira de l’air et lutta pour ne pas perdre conscience. Il le fallait, sinon Richard partirait avant qu’elle lui ait donné son présent. S’accrochant à cette idée, elle réussit à se relever et la souffrance se calma un peu.

Kahlan coupa un petit ruban bleu, sur sa robe, et le noua autour de la mèche de cheveux. Puis elle rengaina son couteau et glissa son cadeau dans la poche de chemise du jeune homme.

— Pour que tu n’oublies jamais que je t’aime…

Richard la dévisagea longuement, sans exprimer la moindre émotion.

— Va voir Zedd, dit-il avant de se diriger vers la porte.

Vidée de sa force et de son espoir, Kahlan le regarda sortir.

Verna s’approcha d’elle.

— C’est l’acte le plus courageux auquel j’aie jamais assisté, dit-elle gentiment. Les peuples des Contrées ont de la chance d’avoir une Mère Inquisitrice de cette envergure.

— Il croit que je l’ai trahi. Vous m’entendez, il pense que je l’ai trahit.

— Mais c’est faux… Je te promets, quand l’heure sera venue, de l’aider à comprendre pourquoi tu as agi ainsi.

— S’il vous plaît, ne le torturez pas…

Verna croisa les mains et prit une grande inspiration.

— Tu viens de le malmener pour lui sauver la vie. Voudrais-tu que j’hésite à en faire autant ?

— Non… D’ailleurs, je doute que vous puissiez imaginer pire que ce que je lui ai infligé…

— Hélas, je crois que tu as raison. Mais je te promets de toujours garder un œil sur lui, et de m’assurer qu’il ne souffre pas plus que le nécessaire. Crois-moi, je ne permettrai pas qu’on aille au-delà. Je t’en donne ma parole de Sœur de la Lumière.

— Merci, dit Kahlan. (Elle baissa les yeux sur la dague que tenait Verna.) S’il avait refusé, vous l’auriez tué…

— Oui, la douleur et la folie, à la fin, auraient été intolérables. (La sœur remit l’arme dans sa manche.) En lui transperçant le cœur, je lui aurais évité un calvaire. Mais ça n’a plus d’importance, à présent. Tu lui as sauvé la vie. Merci, Mère Inquisitrice… Kahlan…

Verna s’apprêta à sortir.

— Combien de temps le garderez-vous ? lança Kahlan. Jusqu’à quand me faudra-t-il attendre ?

— Désolée, mais je ne peux pas te répondre. Tout dépendra de lui. S’il apprend vite, tu le reverras bientôt.

— Vous serez surprise de constater à quel point il assimile rapidement, dit Kahlan avec un petit sourire.

— C’est bien ce qui m’inquiète. La connaissance avant la sagesse… Rien ne me fait plus peur.

— La sagesse de Richard vous surprendra aussi…

— J’espère que tu as raison. Adieu, Kahlan. N’essaie pas de nous suivre, ou il mourra.

— Ma sœur, encore une chose, dit l’Inquisitrice avec dans la voix une colère qui l’étonna elle-même. Si vous m’avez menti, ou si vous le tuez, je traquerai les Sœurs de la Lumière jusqu’à ce que la dernière gise dans une mare de son propre sang. Et croyez-moi, avant que j’aie fini de m’occuper d’elles, toutes supplieront que je les achève.

Verna s’immobilisa un instant, hocha pensivement la tête et sortit.

Kahlan lui emboîta le pas. Au milieu de la foule, elle la regarda monter en selle. Richard avait déjà enfourché une grande jument. Il tournait le dos aux villageois…

Kahlan aurait donné cher pour voir son visage une dernière fois, mais il ne jeta pas un regard derrière lui.

— Richard, cria-t-elle en tombant à genoux, je t’aime !

Comme s’il n’avait pas entendu, le Sourcier talonna sa monture et suivit Verna.

Kahlan s’écroula sur le sol et éclata en sanglots.

Weselan s’agenouilla près d’elle et la prit dans ses bras.

Se souvenant des derniers mots de Richard – « Va voir Zedd » -, l’Inquisitrice parvint à se relever.

— Je dois partir immédiatement, dit-elle aux Anciens qui faisaient cercle autour d’elle. Il faut que je sois le plus vite possible en Aydindril, et j’ai besoin d’une escorte, pour être sûre d’arriver à destination.

— Je t’accompagnerai, déclara Savidlin. Et nous emmènerons avec nous autant de chasseurs que tu voudras. Tous, si ça te chante. Une centaine !

— Non, je ne veux pas que tu viennes, mon ami. Ni tes chasseurs. Trois hommes suffiront. (Des murmures étonnés coururent dans la foule.) Davantage attireraient l’attention. Quatre voyageurs peuvent avancer plus discrètement et plus vite. (Kahlan désigna de l’index un Homme d’Adobe qui la regardait fixement.) Je te choisis, Chandalen. Et vous deux aussi, Prindin et Tossidin.

— Pourquoi moi ? cria Chandalen. Je suis le dernier que tu devrais sélectionner !

— Parce que je ne dois pas échouer. Si Savidlin vient, il fera de son mieux, et s’il ne réussit pas, le Peuple d’Adobe saura que ce ne sera pas faute d’avoir essayé. Toi, tu es un meilleur chasseur d’hommes que lui. Richard m’a dit un jour qu’il te choisirait pour combattre à ses côtés, même si tu le hais.

» Là où je vais, le danger, ce sont les hommes, justement. Si nous échouons, tout le monde au village pensera que tu n’as pas fait de ton mieux. Que tu m’auras laissée mourir – moi, une Femme d’Adobe – parce que tu me détestais, comme Richard. Si tu me trahis, les tiens te rejetteront…

— Je viendrai avec toi, dit Prindin. (Son frère hocha la tête.) Et Tossidin aussi. Nous t’aiderons.

— Je n’irai pas ! cria Chandalen. Je refuse !

Kahlan chercha le regard de l’Homme Oiseau. Ils communiquèrent en silence, puis l’Ancien se tourna vers le chef des archers.

— Kahlan est une Femme d’Adobe. Toi, tu es notre guerrier le plus courageux et le plus intelligent. Ta première responsabilité reste de protéger les tiens. Tous les tiens ! Donc, tu iras. Tu obéiras à ses ordres et tu la conduiras là où elle désire aller. Ou alors, quitte le village sur-le-champ et ne reviens jamais ! Encore une chose, Chandalen… Si Kahlan meurt, ne t’aventure jamais plus sur nos terres, car nous t’abattrons comme n’importe quel intrus aux yeux entourés de peinture noire.

Tremblant de rage, Chandalen planta sa lance dans le sol et plaqua les poings sur ses hanches.

— Si je dois quitter notre territoire, il faut invoquer les esprits pour qu’ils veillent sur nous quand nous serons au loin. Nous partirons demain matin, après une nuit de célébration…

— Je m’en vais dans une heure, dit Kahlan. Tu viendras avec moi Chandalen. Cours te préparer.

L’Inquisitrice rentra dans la maison des esprits pour retirer sa robe de mariée, enfiler ses vêtements de voyage et récupérer ses affaires. Weselan proposant de l’aider, elle accepta avec gratitude.

La pierre des larmes - Tome 2
titlepage.xhtml
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_000.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_001.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_002.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_003.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_004.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_005.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_006.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_007.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_008.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_009.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_010.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_011.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_012.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_013.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_014.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_015.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_016.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_017.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_018.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_019.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_020.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_021.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_022.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_023.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_024.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_025.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_026.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_027.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_028.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_029.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_030.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_031.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_032.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_033.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_034.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_035.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_036.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_037.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_038.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_039.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_040.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_041.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_042.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_043.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_044.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_045.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_046.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_047.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_048.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_049.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_050.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_051.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_052.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_053.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_054.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_055.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_056.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_057.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_058.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_059.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_060.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_061.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_062.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_063.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_064.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_065.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_066.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_067.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_068.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_069.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_070.htm
Epee de Verite 2 - La pierre des larmes (X)_split_071.htm